In Connection

Publié le par philomonique

 
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Ralph Verano original CONTEMPORARY Gallery Art
 
    
Elle s’appelait Hilda. Jamais je ne l’oublierai. 
Orpheline débarquée du Limbourg belge à la recherche d’un travail en région liégeoise, elle avait été heureuse d’avoir pu trouver très vite une famille adoptive en la nôtre. Elle s’exprimait surtout en flamand et son français resterait bancal jusqu’au bout, mais nous nous comprenions bien, elle et moi. 
Depuis ma naissance en 1956 jusqu’à son union en 1969 avec un ancien du Congo belge dont elle héritait par alliance de deux grandes filles métis à éduquer, elle fut la fée de notre logis qui prit soin de moi, de nos repas et de l’intendance pendant que mes parents menaient leurs affaires ailleurs. Au cours de ces 13 années, je fus indubitablement  l’ersatz  d’enfant qu’elle ne pourrait jamais avoir, hélas. 
Il arrivait qu’au sortir de l’école, elle m’emmenât en visite chez sa seule sœur vivant en pays wallon et gérante d’une boulangerie-pâtisserie à quelques rues de là. Pendant qu’elles bavardaient intensément en dialecte flamand assises dans la petite cuisine adjacente au magasin et que le mari dormait à l’étage avant d’enfourner ses pains  en cours de nuit,  je filais souvent en douce vers l’atelier où d’innombrables gâteaux et tartes étaient confectionnés pendant la journée. 
Le pâtissier, que je trouvais franchement beau, m’était très sympathique. Il m’accueillait toujours avec un plaisir non feint, apparemment content de me faire la causette, de m’expliquer comment se fabriquaient toutes ces délicatesses. La plupart du temps, une machine énorme tournait au sol, qui mixait toutes sortes d’ingrédients (beurre, sucre et autres) pour former une crème délicieuse, blanche, verte ou moka, riche et onctueuse, qui servirait à fourrer ou décorer les pâtisseries dont je rêvais d’engloutir toutes les sortes. Je m’accroupissais alors pour en humer les effluves non sans interroger d’un regard en coin mon ami pâtissier pour recevoir sa permission de plonger mon index dans le mélange tout frais et y récupérer une bonne ration de crème en la léchant à même le doigt. Complice, il me faisait un clin d’œil en ajoutant, « oui, mais rien qu’une fois, hein ! » et moi je profitais de son dos tourné pour recommencer… Ce n’était franchement pas la panacée en matière d’hygiène mais cela ne semblait pas le traumatiser. 
J’y repense souvent en mordant dans un appétissant gâteau à la crème, me demandant quel doigt y a trainé sur le chemin de sa fabrication… ! 
Je me souviens de ce jour particulier de juin 69 où Hilda nous a quittés pour vivre sa nouvelle vie. Elle avait insisté avec son futur mari pour me déposer au goûter d’anniversaire d’une camarade de classe avant de s’éclipser de mon quotidien. Mais toute à mon excitation de rencontrer le fameux grand frère de ma copine qui serait le seul garçon présent, j’ai expédié les adieux sur le pas de la porte, m’enfuyant vers la pièce d’où parvenait la musique. Que dire…J’avais 13 ans et j’avais envie de danser, de m’amuser, pas d’être triste. Pourtant je l’étais. Le montrer ? Difficile. Inconscience ? Ce que les enfants peuvent être durs parfois… 
Peu après nous avons déménagé. Puis les années ont passé. Sporadiquement, Hilda appelait ma mère pour prendre de nos nouvelles et nous donner des siennes. Peut-être est-elle passée nous voir l’une ou l’autre fois pendant les 6 ans qui suivirent mais cela reste un peu flou dans ma mémoire. Sans doute, n’étais-je pas présente ces jours là. Elle semblait faire partie d’une autre vie que j’occultais. 
J’allais avoir 19 ans en  juin 1975 quand quelque chose d’étrange se produisit. 
Au petit matin, encore endormie,  je fis un rêve d’une intensité anormale. Presque réel. Il se déroulait dans l’atelier de la boulangerie-pâtisserie où je n’avais plus mis les pieds depuis une éternité. Hilda était à mes côtés et je m’adressais à elle. Mais elle ne me répondait pas, se tenait plutôt le ventre, presque pliée en deux, le visage marqué par la douleur. 
Je me réveillai complètement perturbée. Cet instant onirique inhabituel était d’une acuité étonnante et le lieu surprenant, je n’avais pas le souvenir d’en avoir jamais rêvé. Incapable d’y trouver une explication tangible et passablement inquiète, je relatai mon aventure à ma mère avant de quitter la maison à la hâte pour assister aux cours. 
A mon retour l’après-midi, quelle ne fut ma surprise lorsque ma mère se précipita vers moi avec ces mots : « Hilda a appelé ce matin, elle est à l’hôpital, on vient de l’opérer d’urgence d’un problème abdominal très sérieux, elle a très mal et elle pense beaucoup à nous, à toi ! » 
J’ai sûrement dû frissonner, je le sais. Des liens puissants existaient donc entre les êtres, dont je ne soupçonnais pas la force. Hilda m’avait envoyé ce message et je l’avais reçu. Nous faisions partie de ses souvenirs les plus heureux. Nous avions été sa vraie famille, plus encore que celle reformée  par son mari et ses filles adoptives. J’étais à jamais sa fille de cœur, sinon comment tout expliquer ? 
Quelques années plus tard, alors que je vivais déjà à Bruxelles,  un soir je l’ai appelée. J’avais besoin de lui parler. De lui dire qu’elle avait compté pour moi. De l’encourager. J’aurais aimé la rencontrer encore. Elle a fortement  insisté pour que cela se fasse. Cela ne s’est pas fait. Je ne savais pas que je ne la reverrais pas. Mais elle le savait. 
Peu de temps après, pour mes 27 ans, j’ai reçu une carte contenant quelques petites reliques qu’elle avait conservées. Il y avait mes premières dents de lait, quelques photos de moi gamine, une photo d’elle aussi, au meilleur de sa forme depuis longtemps perdue. Et aussi, écornées, les pages arrachées du Jours de France où je figurais petite fille en arrière plan de Nathalie et de son père Roger Vadim, les mêmes qui ont servi d’illustration sur un autre article de mon blog…. 
Elle s'appelait Hilda. Nous avons été connectées. Jamais je ne l'oublierai.        

 

Inéluctable philomonique - copyrighted janvier 2010

 

 

Publié dans Souvenirs personnels

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M
<br /> est ce que tu as lu sans famille de malot? mon j'ai vu son film en adaptation<br /> <br /> <br />
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M
<br /> bonjour,<br /> j'ai lu tes poèmes et l'histoire du souvenir d'hilda.<br /> <br /> <br />
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