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Comme au cinéma

Publié le par philomonique

 

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Nous quittons le cinéclub. Les yeux pleins de rêve. Une soirée comme je les aime. Voir un bon film d’auteur en bonne compagnie, y a qu’ça qu’est bon!
Corinne m’a accompagnée. Ma voisine n’a que 16 ans, mais sa culture m’épate. Grâce à elle, j’ai appris à connaitre Reggiani, Samson, Leforestier et d’autres. Elle m’a offert un livre de poésie où déposer mes mots pour mes 18 ans. J’en ai été si  touchée. Alors, je lui dois bien un peu de culture cinématographique.
Il fait nuit, il fait froid. Nous attendons le bus, rare à cette heure tardive. Enfin le voilà. Impatientes, nous nous précipitons sur la seule banquette libre, dos au conducteur. Joyeuses et libres, nous rions encore de notre soirée bien réussie.
En face de nous, un homme. Une balafre strie sa joue gauche de haut en bas. Ses cheveux noirs en pagaille, sa barbe naissante, ses vêtements froissés nous mettent passablement mal à l’aise. Il a bu, c’est certain. Nous baissons le ton pour ne pas nous faire remarquer, encore sous le coup de l’intrigue, du jeu des acteurs, de nos émotions. Soudain, un geste furtif de notre vis-à-vis. Sa main qui glisse d’une poche intérieure à une poche extérieure,  ou est-ce le contraire? Corinne me murmure : “tu as vu le reflet?”. Je lui réponds agitée mais aussi discrète que possible : “oui, une arme, merde!” Ne pas croiser ses yeux. Ne pas montrer que nous savons.
Prochain stop. Peut-être va-t-il descendre? S’il vous plait, oui, faites qu’il descende! Mais non, il reste là assis, à ne pas nous regarder, le corps chargé de violence, ses gestes imprévisibles, pendant que nous nous liquéfions sur place. Je murmure à l’oreille de mon amie, après tout je suis son aînée, je dois la protéger, je suis mon instinct. Je lui dis de ne pas s’inquiéter, de me suivre sans discuter au moment voulu.
Notre arrêt s’annonce, nous nous mettons debout, à la hâte, mais sans trop le montrer j’espère. Le gars se lève aussi. J’entends sa respiration dans mon cou. Cette odeur d’alcool me révulse. Au secours! Les portes s’ouvrent. Juste une marche à descendre. Il se colle à moi, me poussant sans manières. Je trébuche. Me rattrape à la barre de porte. Faire comme si de rien n’était. Ne pas réagir. Je prends la main de Corinne. Nous avançons vite, d’un pas régulier qui pourrait sembler normal. Surtout ne pas se retourner. Je le sens dans mon dos à quelques mètres, je perçois le bruit de ses pas. Va- t-il nous suivre?
Le danger me donne des ailes et un stoïcisme que je ne me connaissais pas. Nous nous engageons dans la rue. Par le trottoir côté droit. Encore quelques mètres et nous serons en sécurité. Je jette un coup d’oeil furtif par-dessus mon épaule, il le faut bien. Il n’est plus derrière nous, ouf! Oh… non! Il marche sur la rive gauche, bientôt il sera à notre hauteur! Il nous observe, de ses yeux noirs, le sourire mauvais. S’il ne faisait pas si sombre je pourrais franchement croire qu’il ricane.
Pas une seconde à perdre. Mes mains tremblent. Introduire la clef dans la serrure du lourd volet métallique qui protège la boutique au-dessus de laquelle j’habite. Le relever avec force. Nous engouffrer au plus vite. Le rabaisser. Vite ! Pourvu que le gars ne traverse pas ! J’ai le cœur qui bat à tout rompre. Corinne est livide. Presque paralysée. Dans notre fébrilité, nos gestes se font maladroits, le mécanisme se coince dans la redescente ! Il faut remonter le volet d’un coup sec et le rabattre une fois de plus pour qu’enfin il touche le sol ! Ca y est ! Nous sommes en sécurité !
Par un trou laissé libre dans le métal, je trouve la force d’inspecter le trottoir d’en face! Notre homme est à l’arrêt! Il a dû observer notre empressement. On dirait que ça l’amuse. Mais il se remet soudain en mouvement. Soulève le  couvercle d’une des poubelles déposées pour le ramassage. Y jette quelque chose. Je n’en crois pas mes yeux ! L’arme? Puis il pivote et semble observer l’endroit où tétanisées, nous retenons toujours notre respiration. Quelques terribles secondes agonisent. Va-t-il venir jusqu’à nous ? Non. Il se détourne et continue son chemin. Ouf! La voie est enfin libre, je peux raccompagner ma jeune voisine jusqu’à sa maison.
Une soirée ... comme au cinéma !
 
 

Inéluctable          philomonique - copyrighted juin 2013

 

 

Publié dans Souvenirs personnels

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Marlboro Man

Publié le par philomonique

 
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Pour l'atelier d'écriture: une situation de crise qui mène au rire, aux larmes, au bonheur, ou à ...
 
Marlboro Man
 
Samedi 9 janvier, 22:30, Paris-Gare d'Austerlitz. Le départ du train est imminent. Je patiente penchée à la fenêtre dans le couloir du wagon couchettes, devant la cabine que je partagerai avec 5 autres voyageurs à destination de Bourg St Maurice. Je pars en congé bien mérité, en solitaire. Normal, à 25 ans je suis, parait-il, célibataire endurcie.
J’observe les dernières allées et venues. La voiturette  du porteur fonce en klaxonnant chargée de skis et bagages. Je remarque un gars  installé sur la remorque, au milieu des sacs.  Insolite. L’engin stoppe à hauteur du marchepied à ma droite et le type s’y précipite en un éclair, chaussures à la main, réceptionnant de l’autre  tout son barda. Il était moins une, le train va se mettre en mouvement.
Mais qui c’est celui-là ? Il m’adresse un sourire Ultra Brite et ses yeux rieurs me dévisagent pendant qu’il me dépasse et me lance un: « Hello, is it me you’re looking for ? ». Je ris malgré moi et m’aplatis contre la paroi pour le laisser entrer, non pas dans ma cabine, quel dommage, mais dans celle adjacente à la mienne. Waaahh…  Je le regarde s’installer. Il fait -2 dehors, et il se ballade pieds nus, en jeans et chemise à carreaux, sans veste, tout bronzé. Marlboro Man en personne! Je rêve ou quoi ? Nous sommes en hiver, que diable !
Le train démarre. Ses sacs à peine déposés sur sa couchette, il me propose une Marlboro - normal -, que je décline, -normal-, se dirige vers la portière du wagon, l’ouvre et s’assied sur la deuxième marche, balançant ses guiboles au-dessus des rails. Il est fou. On gèle et le bruit est assourdissant. Cigarette aux lèvres pour garder les mains libres et l’équilibre, il me demande where I go, où je vais. Mmmh… il me plait déjà ce rebelle tout bronzé qui me parle en english. «I go to Tignes, Club Med,  for ski holidays, a week». Il me répond qu’il s’y rend aussi ! Yesss !
« May I introduce myself, je m’appelle Juliette ». Il se prénomme Wayne. J’en sais rapidement un peu plus sur lui, tout comme tous les passagers à proximité d’ailleurs, car nous hurlons pour pouvoir nous entendre. Il débarque d’Australie, c’est l’été là-bas  - tu m’étonnes - et vient passer 3 semaines de ski entre Tignes, Chamonix et Kitzbuehl. Médecin de campagne down under, il joue au flying doctor, se déplace sur de grandes étendues, accessibles uniquement par petits avions, pour y soigner une population très éparse. -Out of Africa, c’est ici et maintenant… Pincez-moi !-
Il a 35 ans, bientôt séparé, 2 enfants. Prend de la distance pour remettre de l’ordre dans sa vie. Bon, je sais déjà (presque) l’essentiel. IL EST LIBRE ! Du moins pour les vacances. Avec son petit air de Barry Lyndon il me plait franchement. Encore quelques minutes de conversation and it’s time to go to sleep, il faut bien dormir un peu ! Lui surtout, qui n’a pas fermé l’œil depuis l’embarquement à Perth. Qu’à cela ne tienne, on se reverra demain matin. Bonne nuit donc ! Sauf que j’ai bien du mal à trouver le sommeil. Les voyages... la jeunesse ! Ouais ouais…
Dimanche, 6h du mat. Le train s’éveille brutalement au rythme des portes coulissées et des appels du contrôleur. Arrivons à Bourg St Maurice dans 10 min. Fin prête, je jette un œil dans la cabine voisine! Il dort encore. Le sommeil du juste. Il repose sur la couchette médiane, en marcel blanc, muscles saillants, peau dorée, cheveux blonds décoiffés juste comme il le faut. Personne n’a osé le réveiller. Qui s’en soucie! Chacun pour soi… Mais moi, bonne âme,  je me sens investie d’une mission. Hop, ma main sur son épaule nue et je le secoue doucement. Body language. Réaction épidermique instantanée. Mon coeur bondit, mon corps perd pied. Un œil s’ouvre, un grognement, un étirement et  je lui explique qu’il a encore exactement  8 minutes avant Bourg St Maurice où les cars affrétés nous attendent pour nous amener à Tignes. Puis, troublée, je recule pour ne pas le montrer, et me dirige sans plus attendre vers le bout du couloir, prête à débarquer.
Une fois installée dans un des bus, je le vois, il est descendu à temps. Bien. Mais il grimpe dans un autre car. Zut. « Tu veux ou tu veux pas ? » Comment faire pour gérer cette situation ?
Au Club, il est encore si tôt que le petit déjeuner est servi aux nouveaux arrivants. Comme de coutume, les tables sont dressées pour 8 personnes, le principe du village étant de s’ouvrir aux autres dans toutes les activités proposées. Je prends place. Nous sommes 7 à table. J’en suis déjà à mon deuxième croissant lorsqu’il apparait dans mon champ de vision. Il m’a vue ! Il s’approche et il me demande if the place next to me is free. Yes, of course, oui, la place est libre! Je n’arrive pas à le croire. J’ai du bol ! On parle de ski, de nos niveaux similaires et puis tiens, si on se faisait une petite sortie ensemble pour tester les pistes avant les cours du lendemain?
Chose dite chose faite, on s’éclate toute l’après-midi  dans une neige poudreuse à souhait avant de prendre possession de nos chambres respectives et surtout de prendre une bonne douche. On se reverra au bar. Parfait.
Dimanche soir 19 :00. Je suis crevée et une migraine semble me prendre la tête. Mais qu'à cela ne tienne. Je me dirige pimpante vers le bar. Du monde, des nouveaux arrivés, des pas encore partis, des G.O. mais pas de Wayne. Je commande un drink et m’assieds, en attente. Il arrive enfin, s'accoude au comptoir, ne me voit pas. Comme il est beau! C’en est presqu’irréel. Grand, mince, racé, beau, oui. Sain aussi. Pas  imbu, pas fat. Il avale sa bière au goulot. Que dois-je faire, dites-moi, que dois-je faire ? Me lever, aller vers lui, faire le premier pas ? Je sais que si je bouge, quelque chose pourrait arriver. Suis-je prête pour une aventure sans lendemain ? Le bar se remplit, j’intercepte les regards prononcés que deux femmes seules jettent sur lui. Plus le temps de réfléchir. Elles ou moi, c’est moi, pas le choix ! Je me dirige vers lui. Il me sourit. Moi aussi. Je lui dis mon mal d’altitude. Il me tend un comprimé contre le mal de crâne, il en a toujours sur lui, il est médecin. Mon sauveur. Mon héros. Je n’attendais que lui. Nous passons à table.
Puis tout commence. D’une intensité rare, d’une complicité sans failles, le rêve absolu. Il est l’homme, l’ami, le compagnon et l’amant idéal. Nous dormons dans un seul lit. Le sien, le mien, qu’importe. Inséparables du premier jour au dernier instant avant mon départ pour Bruxelles. Tout en sachant tous deux que la parenthèse va se refermer.
Samedi soir. Nous allons nous quitter. Je suis la soldate qui repart à la guerre après l’amour. Il part demain à Chamonix, puis à Kitzbuehhl avant de rentrer à Perth remettre sa vie à l’heure. Mon voyage me ramène à Bruxelles et à la mienne à construire. Nos chemins s’écartent. Comme prévu. Nous en étions conscients tous les deux. C’est dur quand même. Merde.
Samedi nuit. Je monte dans le train. Emplie de souvenirs chauds, d'une rencontre unique que personne ne pourra me voler. Je sais à présent ce que veut dire amour=fusion. Je vis la passion, celle dont on sait qu’elle ne dure pas mais qu’on aime aimer passionnément. Je ris et je pleure. Le dimanche aussi.
Lundi soir, Bruxelles. Le téléphone sonne, c’est Wayne. Il est à Chamonix, mais il n’aime pas. Le ski n’est pas bon, les gens pas sympa. Tout était mieux avec moi. Il a décidé d’écourter son séjour, a organisé un billet d’avion pour venir passer quelques jours avec moi, me demande si je suis d’accord ! Quelle question !
Mardi soir, Bruxelles. J’ai pris congé quelques jours. Je lui montre où je vis, ma ville, la mer, les Ardennes, toute la Belgique. C’est insensé, je l’ai complètement dans la peau.
Vendredi matin. Il m’offre un disque de Gilbert Bécaud. Une façon pour lui de me dire merci. Je n’ai pas voulu de bijou. On ne m’achète pas, je suis trop entière. Nous l’écoutons, en silence. Il ne comprend pas les mots mais il aime. Moi je comprends et j’ai le cœur qui pleure. Il va me quitter dans quelques heures. Reprendre l’avion vers l’Autriche où ses enfants le rejoignent. Son autre vie l’appelle, je ne peux rien y changer. Je le sais. Une tristesse énorme me plombe. Vivre l’instant présent m’est insupportable tant je pense au vide qu’il va laisser en moi. Il trouve la parade en m’hypnotisant, méthode préférée de ses patients. -Tu m'étonnes-. Je plane de longs instants hors du réel, concentrée sur le son de sa voix. Je ne ressens plus aucune peine. J’aspire à l’hypnose éternelle. Mais dès la séance terminée, toute ma douleur remonte en bloc. Elle est fermement installée…
Je ne veux pas qu’il s'en aille. Il est entré dans mon univers. Le lui ai permis. Il m’a envahie. Too much love. Je le savais. Plus dure sera la chute.
Encore quelques minutes. Nous nous enlaçons sans plus rien dire. Une dernière fois. Puis le taxi l'arrache à ma vie. C'est la fin. Le néant. Sans lui, abandonnée, je crève. Adieu Marlboro Man !
 
Mercredi. Une lettre vient d’arriver. "Nous nous sommes rencontrés au mauvais moment, au mauvais endroit, tu es une personne formidable".  Il me souhaite d’être heureuse. Heureuse ?
 
 
Inéluctable philomonique - copyrighted juin 2013

 

 

Publié dans Nouvelles

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